James Hadley Chase dont le vrai nom est René Brabazon Raymond
a publié sous d'autres noms d'emprunt :
outre celui de J. H. Chase
James L. Docherty
Raymond Marshall
Ambrose Grant
James Hadley Chase n'a accordé que très peu d'entretiens…
« En 1937 ou 38, on venait de lancer un livre du genre noir, l'un des
tout premiers, qui s'était vendu à une vitesse folle.
Tous les libraires que je voyais, très impressionnés par ce succès,
m'en demandaient de la même veine.
L'ennui, c'est qu'il n'en existait pas.
C'est alors que je me suis dit que je pourrais peut-être m'y mettre moi-même.
Et je m'y suis mis : je me suis fait envoyer une documentation d'Amérique,
des plans, des cartes, des dictionnaires d'argot, des journaux et j'ai commencé
à écrire…»
(entretien accordé à Stéphane
Jourat)
Puis dans un entretien avec Thomas d'Uxkull,
pour la Suisse illustrée :
« Un jour, j'ai été frappé par l'extraordinaire succès
d'un roman : Le facteur sonne toujours deux fois, de James Cain, qui
est devenu un classique.
Je l'ai lu et je me suis dit que je pourrais essayer d'écrire moi-même
quelque chose de ce genre.
Ce fut Pas d'Orchidées…
Il ne me restait plus qu'à m'assurer que l'ouvrage se vendrait.
Et ça, c'était précisément mon domaine (…)
J'ai tâché de recréer l'ambiance décrite par des
amis qui connaissait les Etats-Unis. »
Dans le superbe article qu'elle lui a consacré
pour le Magazine littéraire, en 1973, Juliette Raabe note :
« Cet homme à la stature impressionnante et à la moustache
d'explorateur fin de siècle mène une existence paisible, retirée,
partagée entre son appartement du XVIe arrondissement à Paris
et sa résidence des bords du lac Léman.
Vivant depuis plus de vingt ans dans les pays de langue française, il
prétend ignorer le français et force est de l'accepter sinon de
le croire.
S'il donne une interwiew, sa femme lui sert d'interprète et seul un sourire
sous-jacent laisse deviner qu'il ne perd, en fait, pas un mot de la conversation.
L'humour dont il témoigne dans ses livres lui permet de se tirer avec
maestria des pièges dans lesquels on s'efforce de le faire tomber et
l'image qu'il donne de lui-même est celle d'un homme d'affaires cynique,
d'un industriel de la littérature.
Il a sous la main la liste de ses tirages et, lorsqu'on lui demande lequel de
ses ouvrages il préfère, c'est tout juste s'il ne va pas y chercher
la réponse… »
Ce cynisme affiché n'est, bien entendu,
qu'une façade.
Sous le flegme du banquier René B. Raymond, perce la pudeur de l'écrivain
James H. Chase…
James H. Chase dédaignait la publicité…
« Il y a des auteurs qui aiment à parler d'eux et de leur
œuvre.
Pas moi.
Si les romans d'un auteur se vendent bien et régulièrement, dans
le monde entier, il ne devrait pas avoir besoin de perdre son temps à
donner des interwiews, à écrire des préfaces ou à
se faire du mouron à propos de ce que les critiques ont à dire.
»
Anecdote rapportée par Hervé
Delouche à Robert Deleuse ;
« Jean-Paul Kauffmann, journaliste au Matin de Paris, avait rendez-vous
avec Chase, au domicile de l'écrivain.
Il s'y rend, sonne.
L'épouse de René B. Raymond l'accueille, le fait entrer, s'asseoir.
Elle passe dans une autre pièce, probablement le bureau de J. H. Chase,
et en revient quelques minutes après avec le dernier roman en date de
l'auteur.
Dédicacé. »
Ce jour-là, J. P. Kauffmann n'a rencontré
ni René Brabazon Raymond ni James Hadley Chase.
Cette attitude conduira les détracteurs de Chase à affirmer qu'il
s'agit d'un comportement hautain, tandis que ses défenseurs préféreront
sans doute parler de modestie, de pudeur.
Toujours dans l'article de Juliette Raabe…
Que pense-t-il de son œuvre, écrit-elle ?
Rien ; si ce n'est qu'elle a bien marché, naturellement.
S'il y a autre chose à en penser c'est le travail des critiques.
Des étudiants rédigent sur lui des mémoires, grand bien
leur fasse.
Il entre dans les manuels de littérature, dans les programmes des facultés.
Ah !… tant mieux.
Si on lui avoue qu'on trouve ses livres émouvants, que l'on pleure à
la fin de Miss Blandish, il devient glacial.
Mais enfin, vous vous considérez comme un écrivain !
« Ne comptez pas sur moi pour faire le clown qui veut jouer la
tragédie. »
Entretien avec Jérôme Couturier
pour le Nouvel Observateur en 1965 ;
« Je travaille toujours de la même façon.
Je m'assieds dans un fauteuil et j'attends.
Un jour, une idée m'accroche et le plus souvent ne s'en va plus.
J'attends encore, je la travaille, cela peut durer deux mois, je ne fais strictement
rien d'autre que d'y penser.
Elle se complique, se débrouille, évolue, se transforme.
Je ne prends aucune note.
Quand je sens qu'elle est au point, je me mets à écrire, directement
à la machine.
En travaillant très tôt le matin.
Tout, absolument tout sort de là (il se tape le front avec le doigt)…
»
« Je ne ressemble pas du tout à mes personnages.
Je suis un bon mari. J'ai un fils, une belle-fille.
Rien dans ma vie ne ressemble à mes romans. »
« Je suis conservateur… Oui, je crois.
Parce que j'ai de l'argent et que je le protège, comme tous ceux qui
en ont.
Tenez, mon fils, il était un peu à gauche, et maintenant qu'il
a de l'argent il est à droite. »
Maintenant voici des extraits de la préface
du livre paru en 1970 et regroupant les trois titres parus chez Plon (La blonde
de Pékin, Chambre noire, Eh bien, ma jolie)
James Hadley Chase, 1m 80, aspect typiquement anglais, un grand front dégagé,
la moustache poivre et sel retroussée aux extrémités, le
sourcil satanique perpétuellement mouvant au-dessus d'une paire d'yeux
verts…
Refusant l'avenir d'employé de banque qui lui était proposé,
pour le difficile travail de revendeur de livres au porte-à-porte, pendant
deux ans Chase apprend sur le tas à connaître les ressorts les
plus profonds du cœur humain…
Que les romans de Chase qui lui ont valu une célébrité universelle soient composés avec le souci de plaire au public, et mettent en jeu, pour atteindre ce but, un certain nombre de recettes, cela aussi, Chase est le premier à nous le dire…
Chase est un romancier-né, un de ceux qui, dans le genre baptisé sommairement et abusivement roman policier, nous donnent bien souvent l'impression d'être romancier tout court.
Après tout, où se trouve les frontières du genre policier ?
Ni Balzac, ni Dostoïevski n'ont dédaigné d'être des auteurs de romans policiers à leur manière.
La première histoire d'enquête policière qui nous ait été
contée est l'une des plus géniales, puisque l'enquêteur
y découvre qu'il est lui-même le coupable, et c'est Œdipe
Roi de Sophocle.
(Thierry Maulnier de l'Académie française.)
Et la courte préface de Chase lui-même
toujours pour cette parution :
« Je suis très heureux que ces trois titres aient été
choisis pour figurer dans la collection "Les Chefs-d'œuvre de la Littérature
d'Action ".
Je les considère moi-même parmi les meilleurs de mes ouvrages.
Chambre noire me semble à coup sûr,
la meilleure chose que j'ai faite depuis Eva.
Après avoir longuement séjourné à Mexico pour m'imprégner
de l'atmosphère authentique de cette ville, je n'ai eu aucune difficulté
à écrire ce livre, alors que certains de mes autres romans m'ont
demandé un réel effort.
Eh bien, ma jolie… est un divertissement,
basé sur une intrigue "musclée" qui se termine par un
coup de théâtre.
C'est le genre de livre que j'écris en m'amusant.
L'intrigue est, dans ce cas, primordiale et les personnages entrent en scène
sans que j'aie à les créer.
Il m'a fallu six semaines de réflexion pour trouver l'argument…
Le reste est venu tout seul.
La blonde de Pékin a présenté
plus de difficultés.
Je déteste que le même « personnage » apparaisse dans
plusieurs de mes livres, mais Mark Girland avait acquis une telle popularité
que je me suis vu forcé de le mettre en scène à nouveau.
Je me trouve brimé quant au « suspense » lorsque je
sais que mon personnage doit survivre jusqu'au prochain roman.
Tout comme James Bond m'ennuyait mortellement, le sachant destiné à
survivre quoi qu'il lui advienne Mark Girland à son tour, me faisait
le même effet, pour la même raison.
Néanmoins, la Blonde de Pékin fut un succès ; on en fit
un film ; c'est ainsi que j'eus encore à écrire un autre Mark Girland.
Il se trouve dans les territoires de Chase,
beaucoup plus de suicidés et de suicidaires au mètre carré
que dans bon nombre de romans noirs, toutes tendances et époques confondues.
Doit-on en conclure que René Brabazon Raymond était partisan de
cet acte d'autodestruction ?
« Si je n'avais pas écrit mes livres, je me serais tranché
la gorge. »
Entretien avec Robert Muller pour le Sunday
Times en 1958.
La vie de René Brabazon s'acheva paisiblement
le 6 février 1985 à Corseaux-sur-Vevey, en Suisse.
Quant à l'œuvre de Chase, elle s'interrompit deux ans avant.
Son dernier roman s'intitulait "Ça ira mieux demain".
ll fut publié en France, dans le Carré Noir, en octobre 1983.
Ensuite en Grande-Bretagne, chez Robert Hale Limited, en 1984.
Son agent, la bonne Mme Bradley ("qui s'occupait de tout "), mourut
en juin 1983.
Une grande partie du contenu de cette page provient du livre de Robert Deleuse : "A la poursuite de James Hadley Chase" |
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